Deux fois par an. Les trucs de vieux. Aloïse Sauvage.
A quoi voit-on qu'on vieillit ?
Il y a la datation précise, le repère chronologique implacable, cachet de l'état civil faisant foi. "l'âge de son blog", comme on dit "l'âge de ses enfants"... J'ai commencé à écrire ici avant la naissance d'Alice, alors que Camille et Raphaël avaient trois et cinq ans. Déjà, ça, c'est vertigineux. Comme si je parlais d'une ère géologique révolue. Je vieillis car ma fille aînée a 19 ans et qu'elle vit à l'étranger.
Il y a le rythme. Les nuits un peu courtes qu'on encaisse un peu moins. Les verres de blanc qui donnent un peu plus mal à la tête. La hanche qui coince si je cours un peu trop longtemps. La peau frippée et la drôle de tête au réveil si je ne me démaquille pas.
Les parents d'élèves qui rajeunissent, eux. Les anciens élèves qu'on ne reconnaît pas tout de suite quand on les croise dans la rue, mais dont on se dit, à la façon que ces jeunes gens ont de nous sourire, qu'ils ont dû passer dans nos classes.
Les livres, qu'on a déjà lus plusieurs fois. Dont on se dit qu'il faudrait les lire à nouveau. Les disques. Les films vus cent fois.Les endroits où l'on veut retourner...
Il y a ton père, pas très en forme. Tu sais qu'au téléphone il donne le change. Tu vis à 800 kilomètres. Bref.
Et il y a le jour où tu découvre Aloïse Sauvage. Tu corriges mollement (rythme de vieille) tes copies. C'est encore la grève sur Inter, mais ça te tient compagnie. Et puis tu entends "Jimmy" et tu lèves le nez, tu as déjà entendu un truc comme ça, ça ressemble un peu à ce qu'écoutent tes enfants, mais ça te fait aussi penser à Diam's. Tu te lèves, tu mets un peu plus fort et il n'est plus du tout question de corriger tes copies. C'est à la fois familier et un peu lointain. Il y a quelque chose dans sa façon de prononcer les voyelles, comme un accent, elle parle un peu comme tes étudiants. Tu écoutes les paroles. "Jimmy accourt dès qu'il est accro,peut cogner fort quand quelqu'un s'approche de celle à qui Jimmy s'accroche"...C'est super beau et tu es un peu émue.
A ce stade, j'ai quinze ans et je peux l'écouter mille fois par jour.
Pourvu que je garde, pour toujours-toujours, cette capacité à me lever dans ma cuisine et danser comme ça !